Si tu n’as jamais… Alors, tu ne devrais pas…

Plaidoyer pour la reconnaissance du travail social

Texte de  Sébastien DECOSTER (Directeur d’une Maison d’Enfants à Caractère Social) que nous remercions de cet écrit et de nous autoriser à le relayer ici

Si tu n’as jamais, une OPP à la main, retiré un enfant de sa famille, sous les yeux de ses parents, dans le but de le protéger et cela lors d’une période de travail, tu ne devrais pas décider combien un travailleur social doit gagner ni même ce qu’est ou non un travailleur social.

Si tu n’as jamais regardé une personne pleurer parce qu’elle ne sait pas quel choix faire entre : donner à manger à ses enfants ou payer la facture de chauffage, tu ne devrais pas décider combien un travailleur social doit gagner ni même ce qu’est ou non un travailleur social.

Si tu n’as jamais été violemment frappé par un adolescent en crise alors que tu veux juste prendre soin de lui, et éviter qu’il ne se fasse plus de mal que ce qu’il s’est déjà fait, tu ne devrais pas décider combien un travailleur social doit gagner ni même ce qu’est ou non un travailleur social.

Si tu n’as jamais vu le regard vide de quelqu’un qui te supplie de ne pas lui venir en aide et de le laisser se suicider, tu ne devrais pas décider combien un travailleur social doit gagner ni même ce qu’est ou non un travailleur social.

Si tu ne t’es jamais senti impuissant en croisant les yeux de parents qui s’effondrent quand on leur annonce au tribunal que leur enfant est placé pour deux ans et qu’il ne rentrera pas ce soir, ni les autres soirs…tu ne devrais pas décider combien doit gagner un travailleur social ni même ce qu’est ou non un travailleur social.

Si tu n’as jamais dit à ta famille que ta journée s’était bien passée pour simplement les épargner de ce que tu as vu et vécu ce jour-là, tu ne devrais pas décider combien doit gagner un travailleur social ni même ce qu’est ou non un travailleur social.

Si tu n’as jamais senti la détresse de quelqu’un qui se retrouve à la rue, qui a tout perdu, travail, maison, enfants… juste à cause d’un accident de la vie que tout le monde peut connaître un jour ; qui vient demander une place d’urgence en foyer parce qu’il fait trop froid dehors cette nuit-là ; et que tu dois lui répondre qu’il n’y a plus de place, tu ne devrais pas décider combien doit gagner un travailleur social ni même ce qu’est ou non un travailleur social.

Si tu n’as jamais changé la couche d’un enfant polyhandicapé en croisant son regard qui te dit « j’ai mal quand tu me bouges malgré toutes les précautions que tu peux prendre », alors tu ne devrais pas décider combien doit gagner un travailleur social ni même ce qu’est ou non un travailleur social.

Depuis des années les travailleurs sont sous-payés et sous-estimés et personne ne semble s’en soucier.

Maintenant que le système médicosocial semble s’effondrer, qu’une pénurie de professionnels pointe le bout de son nez, tout le monde est concerné par ce problème !

Les éducateurs, assistants sociaux, EJE, CESF, accompagnants…quittent la profession plus vite que vous ne le pensez ! Peut-être parce qu’on en demande de plus en plus avec de moins en moins de moyens ? Ou encore à cause du ratio travailleur social/personne accompagnée catastrophique et dangereux ?

Peut-être parce qu’on travaille dans des services et établissements ouverts 365jours par an et 24h/24 qui demandent parfois à faire des choix entre sa propre famille et son travail… notamment les jours fériés, les week-end, les soirs de Noël….

Les raisons semblent infinies…

Devoir travailler avec ses tripes, devoir prendre sur soi, devoir se créer une solide carapace émotionnelle, devoir rencontrer jour après jour les humains rejetés en masse par une société dysfonctionnante… et ne pas pouvoir payer ses factures à la fin du mois alors même qu’on est censé aider les plus précaires à les régler n’est plus acceptable !

Mesdames et Messieurs les députés il est temps de se soucier des travailleurs sociaux sinon le concept de paix sociale va exploser. Nous ne pourrons en effet contenir encore longtemps tant de misère sociale dans notre pays sans avoir assez de bras.

Imaginez une société dépourvue de centre d’hébergement d’urgence, de maison d’enfants à caractère social, de service de tutelle, d’établissements pouvant accueillir les personnes (adultes et enfants) en situation de handicap…

Notre engagement, notre éthique, notre déontologie volent aujourd’hui en éclats face à une pénurie de travailleurs sociaux et une demande du public toujours plus importante. Chaque jour des travailleurs sociaux quittent définitivement leur poste et le secteur… les centres de formation voient leurs effectifs d’étudiants diminuer …il est temps de s’en soucier !

Je me suis inspiré d’un texte similaire écrit par des IDE pour rédiger celui-ci suite aux difficultés de recrutement de mon secteur : celui de la protection de l’enfance. Comment proposer, à des enfants connaissant 1000 problématiques, un environnement contenant et des figures d’attachement stables alors même que nous n’arrivons pas à recruter des éducateurs formés au quotidien faute de candidatures ? Nous sommes tous unis face à une dégradation majeure et sans précédent de nos conditions de travail. Nous demandons simplement à être reconnus dans nos missions à destination des personnes exclues, précaires, malades, handicapées, en détresse sociale ou simplement dans le besoin.

Aujourd’hui vous êtes responsables. Vous pouvez ouvrir le Ségur à toutes les professions de nos établissements et services : surveillant de nuit, cuisinier, secrétaire, directeur… Penser que ces professions ne sont pas en contact avec le public c’est n’avoir aucune connaissance de notre milieu et c’est favoriser un clivage au sein de nos établissements. Nos établissements fonctionnent avant tout en collectif.

Revaloriser les salaires et ouvrir le Ségur à tous devient une nécessité sans quoi nous n’aurons plus assez de bras pour contenir tant de misère sociale et apporter un soutien décent aux personnes qui en ont besoin. Il en va de la dignité de chacun.

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